• Document 1

    Zeuxis, l'enfant et les raisins, Anonyme

    Document 1, Hegel

    « Zeuxis peignait des raisins qui avaient une apparence tellement naturelle que des pigeons s’y trompaient et venaient les picorer, et Praxeas peignit un rideau qui trompa un homme, le peintre lui-même. [...] Au lieu de louer des œuvres d’art, parce qu’elles ont réussi à tromper des pigeons et des singes, on devrait plutôt blâmer ceux qui croient exalter la valeur d’une œuvre d’art en faisant ressortir ces banales curiosités et en voyant dans celles-ci l’expression la plus élevée de l’art. [...]

    D’une façon générale, il faut dire que l’art, quand il se borne à imiter, ne peut rivaliser avec la nature, et qu’il ressemble à un ver qui s’efforce en rampant d’imiter un éléphant. Dans ces reproductions toujours plus ou moins réussies, si on les compare aux modèles naturels, le seul but que puisse se proposer l’homme, c’est le plaisir de créer quelque chose qui ressemble à la nature. Et de fait, il peut se réjouir de produire lui aussi, grâce à son travail, son habileté, quelque chose qui existe déjà indépendamment de lui. Mais justement, plus la reproduction est semblable au modèle, plus sa joie et son admiration se refroidissent, si même elles ne tournent pas à l’ennui et au dégoût. Il y a des portraits dont on a dit spirituellement qu’ils sont ressemblant à vous donner la nausée. Kant donne un autre exemple de ce plaisir qu’on prend aux imitations : qu’un homme imite les trilles du rossignol à la perfection comme cela arrive parfois, et nous en avons vite assez ; dès que nous découvrons que l’homme en est l’auteur, le chant nous paraît fastidieux ; à ce moment nous n’y voyons qu’un artifice, nous ne le tenons ni pour une œuvre d’art, ni pour une libre production de la nature. »

    Hegel, Introduction à l’esthétique, 1832


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  • Synthèse sur Magritte (Mme Pra)

    La trahison des images, 1928-1929

      

    Une première lecture du tableau provoque une réelle surprise, on voit une pipe et on lit que ce n’est pas une pipe. Alors qu’est-ce donc ? Le spectateur est d’emblée convié à chercher ce que l’image peut représenter d’autre qu’une pipe. Y aurait-il derrière la pipe que nous voyons une face cachée ? L’image recèle-t-elle un rébus, une énigme ? Mais non, l’image représente une pipe. L’image tend à affirmer, à dire d’elle-même « je suis une pipe », une simple pipe.

    Le spectateur veut alors réconcilier la phrase et l’image : il comprend que ceci n’est pas une pipe mais l’image d’une pipe. En effet, l’image de l’objet n’est pas l’objet. Il y a entre l’image et l’objet un rapport de représentation. 

    Le spectateur pense maintenant avoir compris le tableau : celui-ci souligne que l’on a affaire à une image et non à un objet. Soit, mais qui en doutait ? Le spectateur peut à bon droit être heurté par le fait qu’on lui suppose une telle naïveté ! Certes, il arrive parfois que l’image trompe littéralement l’œil du spectateur. Ainsi des oiseaux sont trompés par des raisins peints par Zeuxis. On donne habituellement à la peinture une fonction de représentation, comme en témoigne la fable de Pline concernant l’invention du portrait. Mais Hegel a bien souligné que ce n’est pas cela la fonction de la peinture. L’art ne doit pas chercher à imiter la nature, ce serait prendre le spectateur pour un grand naïf.

    Magritte va lui aussi et constamment dénoncer cette définition de la peinture comme représentation, imitation du réel. Contre Platon, qui voit dans l’œuvre du peintre une apparence, une image sans valeur ontologique, Magritte réaffirme pour l’image un statut particulier, un statut signifiant. L’image n’imite pas, elle « parle », elle aussi, elle est signe.

    Mais alors, si elle est signe, ne doit-elle pas entrer en conflit avec les mots ? Magritte met en scène ce conflit. Pas de réconciliation du mot et de l’image. L’image signifie, mais pas de la même façon que le mot.

    Penchons-nous sur le titre du tableau : la trahison des images.

    Ce titre nous laisse perplexes : l’image est traître, ou bien elle est trahie, en tout cas il y a entre le mot et l’image un conflit, ce sont bien ici de faux amis.

    Alors quel est le parti de Magritte ? Magritte est résolument du côté de l’image, et il la défend contre le privilège accordé au mot par certains penseurs au langage. La pipe du tableau se désolidarise de la phrase et la nargue, comme Magritte avec humour nargue André Breton et les surréalistes !

    On pense habituellement que l’image est au contraire plus proche des choses, et davantage éloignée de l’idée que les mots. Le mot « pipe » ne ressemble pas à la pipe ; le mot « pipe » renvoie à l’idée de la pipe, à son concept. Mais la pipe peinte n’est pas plus ressemblante que le mot : les traces de peinture sur la toile n’ont aucun rapport réel, concret, avec ce qu’elles représentent : c’est notre esprit qui « situe » ces traces sur le plan de la représentation pour leur donner leur signification. La peinture est langage, elle n’est pas imitation.

     

     

    BIBLIOGRAPHIE

    Didier Ottinger, Nom d’une pipe, édition l’échoppe

    Michel Foucault, Ceci n’est pas une pipe, édition Fata Morgana


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